ETHOS

La réhabilitation des conditions de vie dans les territoires contaminés par l'accident de Tchernobyl en Biélorussie

ETHOS1 : LA GESTION DE LA QUALITÉ RADIOLOGIQUE DU LAIT

Constat initial : le lait, problème radiologique central dans un village comme Olmany

Dans l’ancien système soviétique, le lopin de terre et la production familiale jouaient un rôle très important dans l’économie familiale.

A la suite de l’accident de Tchernobyl, pour des raisons de niveaux de contamination, et surtout devant l’impossibilité de contrôler la production privée, les autorités ont décidé de réquisitionner les vaches privées. Les familles se sont vues alors démunies d’une ressource très importante. Après l’éclatement de l’URSS, petit à petit, chaque famille a racheté une vache pour subvenir à ses besoins. Le problème du lait, essentiel du point de vue social, est aussi très important du point de vue radiologique. Car le lait constitue une source majeure d’exposition pour l’ensemble de la famille. Si l’on reprend l’étude du repas d’un enfant à Olmany, on constate que le lait représente 30% de l’ingestion journalière. Cette problématique s’est exprimée dès l’arrivée de l’équipe Ethos à Olmany, notamment au cours des premières réunions avec les producteurs privés du village.

Une contamination du lait disparate

Dans l’esprit des gens sur place, tout était indistinctement contaminé, et le lait en particulier. Il était donc urgent de clarifier la situation. Un certain nombre de données existaient déjà, provenant des mesures faites par la radiométriste du village. Ces analyses montraient que la situation n’était pas uniforme à Olmany : une partie du lait se révélait assez contaminée - avec des valeurs dépassant 2000 Bq/l - mais on trouvait aussi des échantillons relativement peu contaminés. En même temps que l’équipe Ethos, les habitants découvraient que tout n’était pas uniformément gris au niveau radiologique, qu’il existait à Olmany du noir et du blanc, du pire et du meilleur, et qu’il pouvait être intéressant d’aller chercher ce "meilleur", c’est-à-dire d’étudier ensemble les pratiques qui permettraient d’améliorer la qualité du lait privé.

"Production d’été" et "production d’hiver" : des situations différentes

Le projet a mobilisé dès le début une trentaine de producteurs. La première étape très importante de ce processus a consisté à bien dissocier "production d’été" et "production d’hiver".

En effet, en été, la production laitière repose sur un système collectif d’organisation : les vaches sont regroupées par troupeaux. A Olmany, village de 1 300 habitants, il y a 7 troupeaux, ce qui représente environ 450 vaches privées. Chaque troupeau se voit allouer par l’autorité collective - le kolkhoze - un pâturage précis autour d’Olmany. En hiver, la situation est complètement différente. Les vaches réintègrent l’étable à côté de la maison familiale, et chaque producteur gère ses ressources de manière complètement individuelle. En comparant les niveaux de contamination, on s’est aperçu qu’en été les niveaux de contamination étaient relativement homogènes au sein d’un même troupeau. En hiver, par contre, la situation était plus contrastée et, pour certaines familles, on observait des pics de contamination .

L’analyse de la situation en été : choisir les pâturages améliorés

Il était important de localiser les pâturages pour chaque troupeau. Des cartes ont été réalisées par les producteurs eux-mêmes, à la fois pour essayer de mieux comprendre et pour disposer à terme d’un élément de négociation avec l’autorité collective qui alloue ces pâturages. Pour les membres de l’équipe Ethos, c’était un moyen de comprendre où allaient les troupeaux. Ces cartes constituaient donc un élément de communication commune.

Les mesures de contamination du lait pendant l’été 1997 (figure ci-dessus) montraient que sur l’ensemble des sept troupeaux, la situation était très différente. En début d’été, seuls deux troupeaux posaient problème, avec des niveaux de contamination pouvant monter jusqu’à 1000 ou 2000 Bq/L, les cinq autres présentant des niveaux situés entre 0 et 300 Bq/L. Ces deux troupeaux allaient paître sur des pâturages qui n’avaient pas encore été "améliorés" par le kolkhoze. Qu’appelle-t-on "amélioration" des pâturages ? C’est une contre-mesure, mise en place à la suite de l’accident de Tchernobyl, qui consiste à labourer les pâturages, à réensemencer de nouvelles herbes, et à apporter régulièrement un certain nombre d’engrais permettant d’éviter l’absorption du césium par l’herbe et son transfert dans le lait. Ce travail d’amélioration réalisé était clairement observable sur les résultats concernant les cinq derniers troupeaux, où les niveaux de contamination étaient relativement homogènes et bas.

Ce travail d’évaluation commune de la situation radiologique du lait d’été à Olmany a permis aux autorités de concentrer leurs efforts sur l’amélioration de nouveaux pâturages pour les deux troupeaux dont le lait était le plus contaminé. Ainsi le kolhoze d’Olmany a pu mettre à disposition deux nouveaux pâturages pendant l’été 1997. En réalisant une campagne de mesures de lait sur ces deux troupeaux après le changement de pâturage, les habitants ont pu vérifier par eux-mêmes l’amélioration de la qualité radiologique du lait.

Le déplacement des deux troupeaux a eu pour effet de ramener presque 85% de la production de lait privé d’Olmany pendant l’été 1998 à des niveaux de contamination inférieurs à 100 Bq/L.

L’analyse de la situation en hiver : gérer les ressources en fourrage et ferrocyne

En hiver, la situation est différente. Les producteurs gèrent de façon individuelle leur production de lait. Chez certains d’entre eux, les résultats montraient soit des niveaux de contamination très variables au cours de l’hiver, soit des niveaux de contamination régulièrement très élevés. L’équipe a reconstitué le planning de leur production de l’hiver précédent : ce qu’ils avaient donné à manger à la vache pendant les différents mois d’hiver, à quelle époque la vache avait vêlé (pendant la période qui précède le vêlage, le lait n’est pas utilisé). Les résultats ont révélé que, même en hiver, il existait des marges de manœuvre intéressantes qui consistaient, pour chaque producteur, à jouer sur la possibilité de régler la période de vêlage, et surtout d’avoir une vision assez claire de ses propres ressources en fourrage. Il faut savoir qu’en hiver, les producteurs privés utilisent des fourrages provenant du village : l’été, chaque famille va faucher du foin là où c’est possible, avec toujours le risque - étant donné que la contamination est irrégulière - de faucher des endroits très contaminés. De plus, dans le cadre des contre-mesures, le kolkhoze fournit une partie de fourrage propre à chaque famille. La ressource en fourrage apparaissait donc comme le paramètre important de la qualité du lait. Il s’agissait d’être capable de séparer les fourrages de provenance différente, d’évaluer leur qualité radiologique, et de gérer ensuite, dans le temps, la distribution de fourrage propre et de fourrage contaminé.

La qualité radiologique du lait produit dans une même famille peut être mauvaise tout au long de l’hiver (Famille I), très variable au cours d’un même hiver (Famille II), ou régulièrement bonne (Famille III), selon la façon dont le producteur gère ses ressources individuellement.

Un autre élément important est l’utilisation de la ferrocyne, produit qui limite le transfert du césium entre la panse de la vache et le lait. Une certaine quantité de ferrocyne est distribuée en milieu d’hiver à chaque famille, en fonction du nombre de vaches dont elle dispose. La démarche du groupe "lait" a consisté à proposer aux producteurs, avant l’hiver, d’évaluer toutes les ressources dont ils pourraient disposer pendant l’hiver en fourrages et en ferrocyne, et d’essayer d’établir un planning d’alimentation des vaches, afin de chercher une marge de manœuvre possible.


On voit sur cette photo l’un des producteurs 
du groupe qui a mis au point un petit système 
d’"optimisation" de la production de lait 
consistant à mettre en regard d’un côté 
les ressources dont il dispose en ferrocyne 
et en foin, de l’autre, la qualité des différents tas de foin.

Création d’un groupe de travail d’une dizaine de fermiers privés

Pour l’hiver 1997-1998, une dizaine de producteurs se sont portés volontaires pour essayer de tester ce petit modèle d’optimisation. Ils ont soigneusement séparé leurs tas de foin, les ont mesurés, et ont essayé de gérer au mieux leurs ressources.