ETHOS

La réhabilitation des conditions de vie dans les territoires contaminés par l'accident de Tchernobyl en Biélorussie

LES OBJECTIFS DU PROJET

Créer les conditions d’une réhabilitation durable des territoires contaminés

L’objectif du projet ETHOS était de créer les conditions d’une réhabilitation durable des conditions de vie dans les territoires contaminés par l’accident de Tchernobyl en s’appuyant sur l’implication active de la population et des autorités locales. 
C’était une approche originale et novatrice qui associait les dimensions techniques et sociales dans une démarche interdisciplinaire incluant différents types de compétence (protection radiologique, agronomie, sécurité et construction de la confiance, gestion sociale du risque). 
L’approche proposée était décentralisée et venait compléter les actions collectives engagées jusque là par les autorités des pays affectés. Le projet a été construit à partir des résultats du programme scientifique d’évaluation des conséquences de l’accident de Tchernobyl réalisé en coopération entre l’Union Européenne et la CEI entre 1991 et 1995.

En effet, l’accident de Tchernobyl a gravement affecté la vie quotidienne des personnes qui vivent dans les territoires contaminés non seulement sur le plan sanitaire mais également sur le plan de la qualité de vie (économique, sociale, culturelle, écologique, esthétique, éthique).
En conséquence, la réhabilitation des territoires ne peut concerner uniquement la dimension radiologique de l’accident. Elle doit nécessairement prendre en compte les autres impacts sur la vie quotidienne(économiques, sociaux, …) si l’on veut que cette réhabilitation soit réelle et durable. La protection radiologique s’est traduite jusqu’à présent par de nombreuses interdictions et restrictions qui ont plutôt renforcé la dégradation des conditions de vie générales des populations. Il apparaissait donc nécessaire de trouver des modalités de réhabilitation qui permettent la protection radiologique tout en favorisant une réelle reconstruction des conditions de vie.

Une autre dimension importante du projet ETHOS a été la recherche d’une affectation aussi efficace que possible des moyens alloués à la protection et à la reconstruction des territoires contaminés (optimisation des ressources). 
Pour favoriser l’avenir des territoires contaminés à long terme, il est nécessaire que les ressources consacrées à la protection et à la réhabilitation soient affectées d’une façon aussi efficace que possible pour augmenter la rentabilité des investissements d’une part, mais aussi pour réduire la dépendance structurelle de ces territoires dans l’avenir d’autre part. Dans cette perspective, l’implication des acteurs locaux est essentielle pour construire des solutions adaptées aux spécificités de chaque contexte local et qui répondent à leur propres objectifs (acceptabilité des choix). En effet dans bien des cas, la vie dans les territoires contaminés suppose des choix entre des objectifs pas nécessairement convergents (entre niveau de protection et niveau de vie, entre efficacité à court terme et efficacité à long terme, etc.) qui sont impossibles à réaliser d’une façon théorique à la place des personnes et des communautés locales concernées.

La situation des territoires contaminés 10 ans après l’accident

Dix ans après l’accident de Tchernobyl, au moment où le Projet ETHOS a commencé, la situation dans les territoires contaminés en Biélorussie, Ukraine et Russie, ne s’était pas vraiment améliorée. La population était toujours confrontée à la contamination et aux contre-mesures. Tous les registres de valeur et de qualité de vie étaient profondément affectés. "Les choses ne seront plus jamais comme avant".

Au stress persistant, s’ajoutaient une perte de confiance envers les autorités qui ont dénié le risque par des actes de censure, de secret et de dissimulation et une perte de crédibilité envers les experts qui sont arrivés puis repartis avec des avis parfois contradictoires, en tout cas sans bénéfice pour la population locale.

Voici qu’elle était la situation à Olmany, le village de Biélorussie dans lequel le Projet a démarré au printemps 1996. Elle est généralisable à l’ensemble des territoires touchés[1] :

" Le niveau moyen de radioactivité des sols est considéré comme relativement faible. Mais les activités agricoles et forestières traditionnelles favorisent un transfert important de la contamination vers la production alimentaire du village, en particulier à travers la production laitière et la récolte des produits de la forêt. Qu’en est-il des niveaux réels de contamination dans les maisons, dans l’alimentation, dans le lait que boivent les enfants ? Au-delà de la préoccupation centrale touchant à l’état sanitaire de la population d’Olmany, ce sont tous les secteurs de la vie qui se retrouvent affectés et désorganisés. Contaminée, la production de lait et de viande est devenue invendable. Le kolkhoze ne produit plus aujourd’hui qu’un tiers de sa production d’avant 1986. On a dû abandonner une partie des champs, trop contaminés. De même, les produits de la forêt sont impropres à la consommation, et les ressources des habitants ont considérablement diminué. Un souci qui vient s’ajouter aux difficultés de la vie dans un environnement contaminé, une vie qui impose la prudence et la vigilance dans tous les actes quotidiens. Difficile d’avoir l’esprit libre... De se distraire comme avant, quand se promener dans la forêt, se baigner dans la rivière, manger les produits de la pêche peut présenter un danger. Comment faire comprendre aux enfants que ces belles myrtilles juteuses qui font leur régal, il ne faut plus les consommer. Difficile de grandir dans un environnement balisé d’interdits. Peut-on vivre privés d’insouciance, privés d’avenir ? "Où que j’aille, Tchernobyl me suit partout." Le souvenir de la catastrophe est tapi au fond de l’âme de chacun. Il vient hanter ses rêves. Chaque année, les habitants organisent une cérémonie pour commémorer ce jour fatal. En souvenir des victimes de l’accident, en solidarité avec ceux qui souffrent, pour exorciser l’horreur...

Face à la catastrophe, les habitants d’Olmany se sont retrouvés seuls. Privés d’informations d’abord. Une petite annonce anodine sur les ondes, trois jours après l’accident. Un mois après, l’intervention télévisée du Ministre de la Santé, annonçant que "la situation est sous contrôle". Et puis la rumeur qui roule, qui s’amplifie au fil des jours, laissant pressentir qu’un terrible malheur s’est abattu sur le pays. Les Biélorusses ont dû attendre trois ans pour être informés sur les niveaux exacts de contamination dans leur pays. Il y a eu aussi les mesures sanitaires, prises tardivement, comme le classement en "zones de relogement" en fonction des niveaux de radioactivité des sols. Mesures inapplicables, ou inefficaces : en Biélorussie, 130 000 personnes ont été ainsi "relogées" sur les 2 200 000 vivant en zone contaminée.

Au fil des mois, des années, les villageois ont fini par perdre toute confiance dans la capacité des autorités politiques, scientifiques et médicales à gérer la situation post-Tchernobyl. En dépit du soutien important du gouvernement biélorusse - qui consacre plus de 10 % du budget national à l’assistance aux populations touchées par l’accident de Tchernobyl - les Olmaniens ont la sensation d’être isolés, abandonnés à leur sort face à un malheur irréversible, victimes impuissantes, privés de tout moyen de contrôle sur la situation.

Il en est passé des experts au village depuis la catastrophe. Venus enquêter et faire des mesures, puis repartis aussi vite, après avoir donné leur avis, souvent contradictoire avec celui des précédents, et sans jamais aucun bénéfice pour la population locale. Les villageois ont eu l’impression d’être traités comme des cobayes. Ils ont vite compris qu’il n’y avait rien à attendre de ces scientifiques, bardés de convictions et d’instruments de mesure, qui posent sur le monde un regard extérieur, clinique et monopolisent les moyens d’information et de contrôle.

Et pourtant, la communauté scientifique, plus que jamais en cette circonstance où elle se trouve confrontée à une réalité inconnue, doit faire preuve de prudence et de modestie. Car, qui peut prédire actuellement les conséquences sanitaires à long terme de l’exposition de populations entières à des doses de radioactivité faibles, mais continues ?".

Notes

[1] extrait de "Regards sur Olmany"